Le conjoint de Caroline Côté est décédé dans un accident de moto lorsque leur fille n’avait que 21 mois. L’absence de testament a valu à la jeune femme quatre années d’angoisse. Empêtrée dans la paperasse pour régler la succession, elle a vécu des complications qui l’ont menée à être arrêtée au volant de la voiture familiale et harcelée par une agence de recouvrement.

«On était une jeune famille. On ne pensait pas que ça pouvait nous arriver à nous», confie Caroline Côté, 27 ans, dont le conjoint est mort tragiquement dans un accident en 2012, sans laisser ses dernières volontés.

Ce n’est qu’un exemple de ce que vivent­­ bien des familles dont un proche est mort sans laisser de testament. Une situation d’autant plus pénible pour les conjoints de fait comme Mme Côté, qui ne sont pas considérés aux yeux de la loi.

Le couple était ensemble depuis sept ans et avait un bambin.

Comme ils n’étaient pas mariés, leur fille a hérité de tout, dont la moitié d’une maison et une voiture. C’est à ce moment que Mme Côté est entrée dans un enfer bureaucratique­­.

Arrêtée par la police

«Un événement tragique et soudain se produit, tu n’as déjà pas le temps de te préparer à la perte de ton conjoint, il faut que tu accompagnes ton enfant là-dedans­­ et la société t’accable de paperasse. Tu n’as pas le temps de vivre ton deuil», déplore la jeune veuve.

Difficile de tourner la page quand chaque nouvel obstacle lié à l’absence du testament fait remonter à la surface les souvenirs et les douleurs.

Comme la voiture appartenait maintenant à sa fille, la banque n’autorisait pas Mme Côté à faire de paiements. «Ils ont transféré le dossier à une agence de recouvrement parce que je ne payais pas.»

Copropriétaire avec sa fille

Comme sa fille a hérité de la moitié de la maison, la loi oblige à créer un conseil de tutelle.

Celui-ci est constitué de membres de la famille pour superviser la gestion de l’argent jusqu’à la majorité de l’enfant. Le Curateur public est aussi responsable de vérifier comment cet héritage est administré­­.

Mme Côté doit notamment faire un rapport chaque année, indiquant ce qu’elle a fait des sous de sa fille jusqu’à ce qu’elle ait 18 ans et qu’elle se retrouve avec tout le lot.

«C’est un fardeau de plus à gérer. S’il y avait eu un testament, je n’aurais sûrement pas eu de périodes d’anxiété devant tout ce que j’avais à régler. Un testament aurait allégé les responsabilités de ceux qui restent», conclut Mme Côté.

Ne pas faire de testament implique aussi souvent de ne pas informer ses proches de ses dernières volontés en matière d’arrangements funéraires.

«Tu tombes là-dedans, dans une frénésie totale. Tu dois prendre des décisions pour une autre personne et tu te poses plein de questions, si c’est ce qu’il aurait voulu», déclare Caroline Côté, dont le conjoint est décédé­­ dans un accident de la route, sans laisser de testament.

Enterrement ou crémation? Exposition funéraire ou non? Fait-on une cérémonie religieuse ou pas? Aurait-il voulu une croix dans son cercueil ou un objet qui lui était cher?

C’est toutes ces questions et bien d’autres auxquelles Caroline Côté a dû répondre au décès de son conjoint, qui n’avait pas fait non plus de préarrangements funéraires.

«On n’est jamais pressé d’en parler, on n’y pense pas lorsqu’on a notre petite famille. Mais une fois que ça arrive, il y a tellement de choses auxquelles penser, tellement de décisions à prendre», confie-t-elle.

Payer deux fois

Heureusement, la jeune femme a été soutenue par sa famille et sa belle-famille dans ses choix, mais elle regrette de n’avoir pas simplement pris le temps d’en discuter avec son conjoint.

«Tu n’as jamais vécu ça, mais trois jours après que ça arrive [le décès], tu te retrouves au salon funéraire pour des choses que tu aurais dû régler avant», insiste Mme Côté.

Certains aînés n’informant pas leurs proches de leurs démarches, faire un testament diminue aussi les risques de payer deux fois pour les arrangements funéraires­­, ajoute Me Nancy Émond, puisqu’il n’existe pas de registre pour les préarrangements.

«Les gens, surtout les personnes âgées, sont souvent très discrets. Ils achètent des préarrangements et ne le disent à personne, parce qu’ils ne sont pas à l’aise d’en parler, mais les héritiers doivent repayer les frais funéraires à leur décès, parce qu’ils n’en savaient rien», insiste Me Émond.

Les conjoints de fait n’ont droit à rien lors du décès d’un proche sans testament. Plusieurs ignorent qu’ils n’existent tout simplement pas aux yeux de la loi, déplorent des notaires.

«Les gens sont nombreux à avoir la pensée magique. Ils pensent qu’en achetant une maison ou en ayant des enfants, ils sont protégés. Mais quand tu es un conjoint de fait, tu es un étranger», insiste Me Nancy Émond, notaire et agente au service d’information juridique 1-800-NOTAIRE.

Le Québec est pourtant la province où il y a le plus d’unions libres. Ce sont 36 % des couples qui ne sont pas mariés, soit près du double de la moyenne canadienne.

Lors d’un décès sans testament d’un conjoint non marié, ce sont les enfants et leurs descendants, si l’un ou plusieurs d’entre eux sont décédés, qui héritent en premier, selon la loi.

S’il n’y en a pas, l’héritage revient aux parents, sinon aux frères et sœurs ou encore aux neveux, nièces. Tout l’arbre généalogique y passe, jusqu’aux membres plus éloignés jusqu’au 8e degré de parenté.

Jamais le conjoint de fait n’est considéré. Même le conjoint marié n’obtient pas directement tout sans testament.

Nombreux cas

Si le couple a des enfants, le conjoint marié n’obtient que le tiers de la succession et les enfants les deux tiers.

Ce qui fait qu’il existe de nombreux cas, lors d’un décès sans testament et sans conjoint marié, où ce sont les enfants, l’ex-conjointe, les parents ou les frères et sœurs qui héritent de tout, alors que ce n’est pas nécessairement ce que le défunt aurait voulu.

«Je pense au cas où l’unique frère d’une dame­­ a hérité parce qu’elle n’avait pas fait de testament. Son conjoint dans le deuil a vécu un enfer, il a dû contracter une nouvelle hypothèque pour pouvoir racheter la moitié du condo à son beau-frère», cite en exemple Me Josée Dubé, notaire.

Dans le cas où un ou des enfants héritent d’une somme de plus de 25 000 $, un conseil de tutelle doit être créé.

Ce conseil est constitué de membres de la famille qui supervisent l’administration de l’argent­­. «Le Curateur public demande aussi des rapports annuels, il exerce une sorte de surveillance», explique Me Marie-Pierre Champagne­­, notaire et conseillère juridique chez BCT notaires, spécialisée en droit des personnes et des successions.

Mais à 18 ans, l’enfant se retrouve avec le montant complet dans son compte et il peut en faire ce qu’il veut.

«On en a vu des dilapidations de gros montants, des 200 000 $ qui disparaissent à 18 ans», cite en exemple Me Émond.

«C’est inquiétant, si on a un enfant avec des problèmes d’alcool ou de jeu ou encore un enfant handicapé qui ne peut le gérer. Avec un testament, on peut décider comment gérer les sous», ajoute Me Champagne.

Faire son testament permet aussi de nommer un tuteur si les deux parents­­ décèdent ou sont déclarés invalides. Sans tuteur, une assemblée de famille doit être formée, constituée de membres des côtés paternel­­ et maternel, afin de nommer un tuteur et un conseil de tutelle qui le supervisera. Par ailleurs, si le père ou la mère meurt, l’autre parent­­ est désigné comme tuteur, qu’il y ait testament ou non.

Décéder sans laisser de testament impose aussi des délais et des frais juridiques importants, notamment pour rechercher­­ les héritiers, et ainsi régler la succession.

C’est aussi sans compter les possibles disputes entre les membres de la famille autour­­ de l’héritage.

Tabou

Pourtant, les gens repoussent le plus possible le moment où ils devront prévoir ce qui se passe après leur mort. C’est un sujet qui reste tabou, personne n’aime discuter de la mort, insistent les notaires.

«Mourir, ce n’est pas plaisant [d’en discuter ou d’y penser]. Il arrive fréquemment que les gens réalisent trop tard. C’est arrivé quelques fois qu’on m’appelle une fois que la personne est entrée à l’hôpital», rapporte Me Émond.

«C’est difficile d’en parler et de prendre le temps de le faire. On se pense tous un peu immortels. On essaie de se monter un patrimoine, mais on ne le protège pas», se désole Me Champagne.


Les conjoints de fait ne sont pas considérés lors de la succession, mais ils sont reconnus à certaines conditions par les régimes de retraite, la CSST dans le cas d’un décès lors d’un accident de travail, la SAAQ pour un accident de la route, la Régie des rentes du Québec et les normes du travail, notamment.

SOURCE:  http://www.journaldemontreal.com/2016/11/26/leguer-un-cauchemar-aux-proches

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